BIOGRAPHIE ET SIX POÈMES DE CAROLYN ZONAILO
Carolyn Zonailo est originaire de la Colombie-Britannique. Son recueil THE GODDESS IN THE GARDEN a été finaliste du A.M Klein Poetry Award. Mme Zonailo, outre ses multiples recueils, a beaucoup apporté à la littérature canadienne, en tant qu’éditrice, membre et représentante de différentes associations visant à promouvoir la littérature canadienne. Pour n’en nommer que quelques unes, Mme Carolyn Zonailo fait partie des : League of Canadian Poets, Writers Union of Canada, Quebec Writers Federation, et de la Editor’s Association of Canada. En outre, de 1982 à 1985, Mme Zonailo a été la présidente fondatrice de la Federation of B.C. Writers, puis de 1986 à 1988 elle a été présidente fondatrice des B.C. Book Prizes.
Élizabeth Robert est née en 1979 à Belœil, Québec. Elle a fait des études en langues et littérature au Champlain Regional College de Saint-Lambert puis en traduction à l'Université Concordia. Elle travaille aujourd'hui pour un organisme communautaire à but non lucratif. Elle est aussi pigiste en traduction et interprétation.
Le Jardin de Mère
J’ai perdu ma mère
à l’âge de douze ans.
Elle n’est pas disparue
d’un cancer ou dans la boisson,
ni d’un divorce ou de la mort.
Elle s’est simplement détournée de moi
en rivale
dès l’instant où j’ai commencé
mes menstruations
et avant que je ne vive
la totalité de ma puberté
elle m’avait déjà complètement reniée.
Elle a passé mon adolescence
à tenter de sortir de sa maison
cette autre femme
que sa fille était devenue.
Elle voyait en moi une compétitrice
pour l’affection de son mari.
Elle avait oublié qu’il était mon père.
Lorsque j’étais enfant
elle représentait une haute et mince figure
qui sarclait le jardin :
les gueules-de-loup, les glaïeuls.
Chaque année, le jardin qu’elle fleuri
est sa marque de prestige.
Maintenant, septuagénaire,
il y a des hydrangés d’un bleu profond,
des muguets,
des dahlias géants,
et un cercle de pierre rempli de zinnias.
Toujours, son jardin :
elle a tant aimé ces plantes fleurissantes.
Par une chaude journée d’été,
je m’assois dans ce que j’appelle « le jardin de mère.»
Je suis seule, entourée des fleurs
que ma mère a semées, arrosées,
nourries et fait croître.
C’est un jardin magnifique,
qui fleurit abondamment.
Mon père est âgé maintenant,
il s’endort l’après-midi,
et devant les émissions télévisées du soir.
Ma mère a été la Héra
de son Zeus pendant plus de cinquante ans,
tandis que moi, j’ai appris à faire sans,
et puis finalement, à me materner moi-même.
C’était le mieux que je pouvais faire.
Assise parmi les fleurs,
le soleil me sèche les cheveux
en ce matin d’été,
je prends conscience que ce jardin
pourrait bien être l’un de ses derniers.
N’est-ce pas incroyable, de contempler
l’achèvement de la vie de quelqu’un,
le nombre d’été qu’il lui reste
en quantité indéterminée.
Il est trop tard pour faire quoi que ce soit
si ce n’est de m’asseoir et d’admirer
la beauté de la nature,
de conserver en photographies
la splendide floraison de cette année.
Elle cherche toujours la compétition, même âgée.
Elle me renie toujours.
J’ai perdu ma mère
et après tout
je vais la perdre dans un deuil
que je vivrai au moins ouvertement.
Aujourd’hui, je suis assise dans son jardin
et je profite de la sérénité
de cette heure du mois d’août.
Carolyn Zonailo
(Traduction de l’anglais au français Élizabeth Robert, Attlc)
Gâteau marbré
Ma mère a tendu
ses deux mains à la vie,
avide de tout ce que l’argent
peut acheter – les manteaux de vison,
une bague en diamant,
une double rangée de perles.
Une femme mince
vêtue comme une reine
elle adorait faire la fête.
Je suis née pour recevoir
de manière somptueuse,
m’a-t-elle un jour dit.
Elle voulait que la pauvreté
de son enfance de la Dépression
s’efface de sa mémoire.
Elle enfonçait l’accélérateur
et conduisait très vite.
Elle fonçait dans la vie
tel un bulldozer
sur les décombres
d’un édifice démoli.
Mais elle a toujours aimé cuisiné.
Son premier emploi, lorsqu’elle a quitté l’école
pour aider sa famille,
était celui de pâtissière chez Dainty.
Elle emportait des brioches rancis et collantes
à la maison et des petits gâteaux
pour ses jeunes frères et sœurs.
Il y avait quelque chose de nourricier,
se mettre
au service des autres.
Elle n’a jamais ralenti
dans la course de sa vie
et n’a jamais arrêter de faire de la pâtisserie.
Elle faisait des tartes à la meringue et au citron,
des gâteaux au chocolat,
des éclairs à la crème,
des tartelettes aux pacanes, des barres Nanaimo,
des carrés en sucre, des gâteaux aux carottes,
des pains aux bananes, aux zucchini,
des muffins aux bleuets… Les recettes
changeait selon le temps
et les saisons.
Pour Noël elle faisait
des gâteaux aux fruits et des biscuits en sucre;
en été, des sablés aux fraises.
Une de ses spécialités
tout au long de ces années
était le gâteau marbré – un tourbillon
de motifs à la vanille et au chocolat.
Je comprends maintenant
qu’il s’agissait du mandala
de sa vie : un mélange
d’amour et de cupidité.
Certains d’entre nous viennent brisés
en plusieurs morceaux;
d’autres entièrement d’une manière
ou d’une autre;
ma mère était d’un mélange
hétérogène, un gâteau marbré,
cuit tout d’un t(r)ou
où les deux saveurs
bien visibles,
sont le don et le recevoir.
Carolyn Zonailo
(Traduction de l’anglais au français Élizabeth Robert, Attlc)
Sœurs
Il s’agit d’un thème familier :
une sœur a le teint clair,
l’autre les cheveux foncés;
l’une ressemble au père,
l’autre davantage à mère.
Une sœur est rebelle,
et l’autre obéissante.
Toutes les sœurs ne sont pas conçues égales.
Toutes les filles
ne sont pas traitées de la même façon.
Ma sœur et moi avons grandi
dans ce que nous pourrions appeller
des familles différentes :
de onze ans ma cadette,
elle habitait le monde
que notre mère affectionnait;
j’allais pour ma part de mon côté.
Après la naissance de ma sœur
ma mère m’a poussé
hors de son cœur.
Ma sœur a grandi
pour ressembler parfaitement à notre mère,
une belle paire.
Moi, je suis la troisième roue abandonnée, tout pour déranger,
celle qu’il fallait traîner.
Ma mère m’a renié par deux fois :
d’abord par jalousie;
puis ensuite parce qu’elle a ouvertement préféré
une fille plus que l’autre.
J’ai été témoin
de la douleur et de l’angoisse
de l’amour familial.
Je le croyais sans fin.
Mais quelque chose ressortira
de cette histoire :
un jour, ma sœur
et moi pleurerons
la mort de notre mère.
Nous ne pleurerons pas à l’unisson,
chacune avec des souvenirs différents,
deux versions de la même parente.
Ma sœur perdra alors
sa plus grande confidente.
Sa mère, sa meilleure amie.
Ma mère, ma pire critique.
Et pourtant, nous sommes sœurs,
nous partageons le même sang.
Carolyn Zonailo
(Traduction de l’anglais au français Élizabeth Robert, Attlc)
Plainte et mélodie
Lorsque j’étais adolescente
ma mère partie au combat,
une matrone guerrière
au casque de cheveux,
un corset de guerre
lui ceint la taille.
Elle m’a battu
de critique et de plainte.
Là où je fleurissais, elle élaguait.
Lorsque je mettais les voiles, elle
attachait les amarres toujours plus courtes.
Sa rage se répandit
à travers la maison
telle une lourde vapeur
m’enveloppant et m’asphixiant
tout au long de mon adolescence,
mes années de poésie et d’idéalisme;
lorsque ma figure enfantine
revêtue les courbes de la féminité
et que la biologie
s’ancra tel un canon.
Je mis longtemps –
toute mon adolescence
et la moitié de ma vie d’adulte –
à saisir le courant glacial
de la censure, la litanie de ce que j’avais mal fait
jamais comme il faut,
qui ne m’appartenait pas
mais bien à cette Harpie
dont les mots dévoraient
ma propre voix intérieure, sibylline.
Finalement, je suis devenue
un papillon, émergeant
du long cocon
et de la chrysalide de la rage-mère,
le contrôle répressif
du jugement a(mer).
Maintenant, j’ai découvert, bien
malgré moi,
que je possède une magnifique
paire d’ailes arachnéenne.
Je ne suis pas la créature hideuse
que je croyais être –
mais un être ailé,
mon âme pure comme l’éther
contre le bleu azur du ciel.
Carolyn Zonailo
(Traduction de l’anglais au français Élizabeth Robert, Attlc)
En autobus avec Irving Layton
Voici mon idéal d’homme de tête d’affiche :
aujourd’hui, un vieil homme, mais encore
la tête léonine,
chevelue et blanche;
il est vêtu d’un pantalon de flanelle grise
et d’un veston bleu –
assis juste en face de moi
dans l’autobus numéro 24,
réservé et lisant un livre :
il incarne
le paradoxe entre
l’être intime et la figure publique.
Pour moi, il s’agit d’une réelle visite
de la muse mâle.
Après tout, n’aies-je pas lu
tous les détails de sa vie intime :
ses mariages, ses passions,
l’attachement qu’il porte à sa mère;
son désir sexuel
nourrissant sa vision poétique;
amant de la chair femelle
et des unions concubines,
la célébration lyrique et la plainte. Et je ne suis qu’une
parmi une longue lignée d’admiratrices,
tissant une couronne de mots
afin de commémorer
mon intrusion anonyme
alors qu’il lit en autobus,
ignorant que je l’observe.
Comme il s’est immergé
-- tant en art qu’en gestes --
dans les mystères
de l’éternel féminin,
laissez ce poème
faire hommage
à sa divinité masculine :
l’homme capable,
l’esprit créatif,
l’énergie mâle et sacrée
qu’il incarne.
Carolyn Zonailo
(Traduction de l’anglais au français Élizabeth Robert, Attlc) Traduction parue dans la revue Arcade no 63 avec l’aimable collaboration éditoriale de Danielle Shelton, éditrice
Glissement de nom
Au commencement
on sentait une certaine béatitude
devant l’action individuelle :
un héro, peut-être,
qui donnait sa propre vie
pour -- quoi? l’avancement politique,
le fanatisme religieux, le devoir,
l’histoire – la gloire
d’une certaine vie éternelle. Sans doute,
le plus valorisé était-il le suicide,
la capitulation volontaire du corps
et de l’âme, pour une cause
(paraîtrait-il) plus grande que la simple
vie, l’unique empreinte
de l’existence d’un individu
sur Terre.
Puis, alors que le nombre de morts
va toujours croissant, que les innocents volent
en pièces, que les blessés souffrent
au milieu des sirènes et des décombres,
d’un pays à l’autre, les victimes
sont transportées sur des civières, le sang
inonde les rues, les lieux
de prière et les centres commerciaux,
les hôtels et les boîtes de nuit, les avions –
alors que le temps file, l’attention
se porte sur l’attentat,
ce geste qui vise à faire éclater,
détoner, exploser et détruire.
Dernièrement, un autre glissement
de sens s’est produit : on parle
d’attentat-suicide, du héros
devenu meurtrier,
le corps n’est plus
chair, squelette et esprit,
mais une arme :
« la beauté des armes »
non plus une métaphore
mais une réalité meurtrière :
la beauté d’une âme incomparable,
déshumanisée, devenue artillerie,
au dessein de tuer, de mutiler
et d’assassiner.
Carolyn Zonailo
Traduction de l'anglais au français par Élizabeth Robert
Traduction parue dans la revue Arcade no 63 avec l’aimable collaboration éditoriale de Danielle Shelton, éditrice
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